Notes et transcription : chris-@-cinebis.org">Christophe Thill
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(Chronique des livres)
Dans le domaine de la S.-F. romancée, l'évènement du mois est la parution chez Denoël du fort intéressant volume de H.-P. Lovecraft qui, dans sa version française, porte le titre de la première des quatre longues nouvelles qui le composent : La Couleur tombée du ciel. Disons tout d'abord qu'il ne s'agit pas d'A. S. [1] à proprement parler, mais de récits fantastiques basés sur la démonologie. Grand spécialiste des questions surnaturelles issues de la magie noire [2], Lovecraft (mort il y a peu de temps [3]) était aussi un maître de l'Epouvante avec un E majuscule. Et c'était, en même temps, un écrivain magnifique. Les quatre nouvelles contenues dans ce premier recueil (un second doit suivre sous peu) s'intitulent : La Couleur tombée du ciel, L'Abomination de Dunwich, Le Cauchemar d'Innsmouth et Celui qui chuchotait dans les ténèbres. Mes préférences personnelles vont, dans l'ordre, à la deuxième, à la première, à la quatrième et à la troisième.L'Abomination de Dunwich ne vole pas son titre. C'est un "cauchemar" dans tout le sens du terme, d'une qualité littéraire telle que les horreurs qu'il évoque deviennent d'affreuses réalités. une histoire de démon, bien sûr, qui par l'intermédiaire de son "petit frère", mélange d'homme et de diable, tente d'établir son emprise sur le monde. Récit monstrueux, gluant, visqueux, il fait, à la fin surtout, songer au genre de rêve où l'on se sent écrasé par quelque objet aux proportions infinies sans qu'on puisse bouger pour y échapper. Un pur chef-d'oeuvre.
La Couleur tombée du ciel nous raconte comment un objet mystérieux, venu des cieux, s'enfonce dans la cour d'une ferme américaine et, peu à peu, contamine et pourrit tout ce qui se trouve dans les environs : terre, plantes, animaux, hommes. Histoire angoissante dont le mystère et même, dirais-je, le suspense grandit de page en page, c'est un spécimen typique de l'oeuvre de Lovecraft.
Celui qui chuchotait dans l'ombre [sic] est la nouvelle qui, en un sens, est la plus proche de l'Anticipation Scientifique proprement dite. Il y est question d'êtres mystérieux, établis en Nouvelle-Angleterre, mais provenant d'une autre planète et qui cherchent à s'emparer d'un homme qui a deviné leur secret. Là également, l'épouvante est magnifiquement maintenue, et Lovecraft a su admirablement équilibrer les éléments de S.-F. et le fantastique de son histoire.
Le Cauchemar d'Innsmouth, enfin, qui se déroule dans une petite ville quasi abandonnée du nord-est des Etats-Unis, a pour thème l'existence dans cette région d'une race qui, d'après l'auteur, serait un mélange d'hommes et de batraciens. Les individus issus de ce croisement seraient capables de vivre sous l'eau où ils possèdent un royaume à eux.
Fort bien traduit par Jacques Papy, le volume souffre néanmoins d'un défaut que j'avais déjà dénoncé à propos de la nouvelle Mitkey, parue dans un autre livre de Fredric Brown dans cette même collection, à savoir le "parler paysan" que l'adaptateur a utilisé pour rendre le patois local de la Nouvelle-Angleterre. C'est particulièrement gênant dans les première et troisième nouvelles où nous devons lire des pages entières comme : "Pour c'qui est des dieux, y donneraient en échange des tas d'poissons qu'y ramèneraient d'tous les coins de la mer, et quéque bijoux... Et comme ça, m'sieu, les natifs y rencontraient les criatures su la p'tite île..." Gageons que Papy s'est donné beaucoup de mal mais, à mon avis, ce n'était vraiment pas la peine. Au contraire, ce style alourdit considérablement son excellente traduction et, dans Le Cauchemar d'Innsmouth, ça devient parfois insupportable.
Igor B. MaslowskiFiction, n°11, octobre 1954, p. 113-114.
Notes :
1. "Anticipation Scientifique" : l'expression que l'équipe de Fiction utilisait de préférence à "science-fiction", moins exact. Retour2. Affirmation aberrante, renforcée par la "démonologie" de la phrase précédente et le "diable" et le "démon" rencontrés un paragraphe plus loin. Retour
3. En réalité, 22 ans auparavant. Retour